Lettre pour I

I. J'avais promis à moi-même que je n'écrirais plus sur toi...
Et me voilà, m’emplissant de caféine, enchaînant cigarette après cigarette, tandis que je me lamente, pleure et me remémore cette première nuit. Cette première nuit de novembre, sur le toit de l’opéra, place Louis Pradel. J’aimerais pouvoir t’oublier et te laisser dans le passé, mais comment pourrais-tu être passé si tu es encore si présent ?
Mais c’était bien, c’était bien, car si cela avait été mauvais, je ne serais pas en train de te consacrer un texte de plus qui finira dans un tiroir, comme tous les autres que je t’ai dédiés. J’adorais te montrer les textes que j’écrivais, et même si tu ne comprenais absolument rien, tu me demandais toujours de les traduire en français pendant que tu buvais ton thé à la pomme et à la cannelle, dont tu disais qu’il avait un "goût de Noël".

J’avais promis que te perdre ne m’affecterait pas. Mais me voilà… butant sur mes mots pour écrire sur toi et les saudades de ton étreinte. Saudades d’essayer de t’expliquer pourquoi, en portugais, le "muito" vient avant le "obrigado" et pourquoi, après midi, on dit "boa tarde" et non "bom dia". J’ai saudade de toi te plaignant de mes cheveux qui retombaient sur ton visage pendant la nuit. Saudade de toi m’aidant à glisser mes cheveux, encore remplis de soin hydratant, sous un bonnet en satin de qualité douteuse, que j’avais acheté dans une boutique aussi douteuse que le bonnet. Saudade de toi m’aidant à choisir la couleur du vernis que j’allais mettre sur mes ongles, même si tu savais que j’allais finir par choisir ce vernis nude laiteux que tu trouvais "choupi". Saudade de toi nouant les lacets de mes baskets parce que cette maudite douleur au dos m’empêchait de me pencher. Saudade de toi rentrant à la maison avec une douceur dans la main, comme un enfant portant délicatement un papillon du bout des doigts.

J’ai même saudade des disputes qui n’ont jamais dégénéré en conflits, parce que je m’excusais toujours d’avoir été grossier.
Parmi tous les mots du vocabulaire portugais que j’ai essayé de t’enseigner et que tu oubliais sans cesse, j’ai oublié de mentionner le mot Saudade. Si je te l’avais appris, je pourrais maintenant t’expliquer ce que je ressens. Peut-être ne te l’ai-je jamais appris parce que je ne pensais pas avoir à l’utiliser pour décrire ce que je ressens pour toi. Je pourrais essayer de te l’expliquer en français, mais ce ne serait pas la même chose. Comme l’a dit Fernando Pessoa : « Saudade, seuls les Portugais peuvent la ressentir, car ils possèdent ce mot pour dire ce qu’ils éprouvent ».

Me voilà donc, plantant un couteau dans ma poitrine, encore et encore. Peut-être dans une tentative de tuer quelque chose en moi, ou simplement de me tuer moi-même. Il existe une ligne ténue entre aimer et devenir fou, et une autre encore plus fine et fragile qui sépare aimer de haïr.
Je ne veux pas devenir fou, et je n’arrive pas à haïr. Alors je vais me contenter de ressentir Saudade.

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