Travesti

Combien de vies encore devront mourir,
Pour vous faire enfin réfléchir,
Que vous jouez avec nos destins,
Ignorant nos chemins incertains.

Nous ne sommes que des songes nocturnes,
Discrètes, furtives, mais toujours certaines.
Nous devons rester silencieuses,
À cause de vos forces malveillantes et précieuses.

Qu'est-ce qui vous dérange tant ?
Nos seins ? Nos jambes ? Nos regards brûlants ?
Notre maquillage ou notre chevelure ?
Nos corps, pour vous, sont-ils une aventure ?

Où est Gloria ? Que s’est-il passé avec Nina ?
Qui a tué Samanta, si près de la vitrine ?
Qui, le 21 janvier 2022, a tenté de me frapper ?
Qui a tué deux travestis à Lisbonne, en vérité ?

La police ne s'en soucie pas,
Les médias détournent le pas.
Dans 78 pays, mon corps est une infamie,
Dans neuf, c’est une peine de mort infinie.
Ou est-ce simplement un malheureux hasard ?

Je vois cela dans ma famille,
Les filles rentrant de la rue, tout en frissons.
Battues chaque jour, sans évasion,
Portant en elles une douloureuse question.

On nous dit que nous ne valons rien,
Mais je pense que pour être entendues, il faut crier, enfin.
Je représente toutes celles disparues,
Je représente Andra, Annick, Gisele, et celles qu'on n'a jamais vues.

Depuis que j'ai quitté la rue,
Neuf de mes sœurs ont perdu leur vertu.
Violées, mutilées, frappées,
Poignardées, brûlées, tout a été infligé.

La rage me ronge, je suis dévorée,
J’ai des yeux dans le dos, je suis surveillée.
Quand je vois un homme, je me cache,
On nous tue comme des insectes, dans ce bas-monde que je lâche.

Notre corps est sacré,
Mais pour eux, il est profané.
Ils nous tuent avec Jésus en cœur,
Et un Dieu soit loué, sans l'ombre d'une lueur.

Paix à celles qui n'ont pas peur,
Qui ont marché, bravé le malheur,
Celles qui ont osé se défendre,
Et ne se sont pas laissées suspendre.

J’ai appris, après tout,
Quand on est travesti, c’est la lutte.
Il faut porter un rasoir dans la main,
Pour survivre, et marcher sans fin.

Ma vie n'est pas plus précieuse que la tienne,
Mais je ne la perds pas dans cette scène.
Le problème, c'est que quatre minutes,
C’est trop peu pour exprimer cette lutte.

Et comme je ne sais pas parler,
J'écris des vers, des vérités à délivrer.
De la tête aux pieds, des mots sincères,
Des vérités que je porte en silence, à l’envers.

Pas de fêtes, pas de joie,
Juste des problèmes, des échos de la voie.
Sans argent, sans toit, sans marché,
Mais toujours, cette haine, cette réalité.

Nous sommes cette fameuse pute,
Endurante, ou explosant en toute dispute.
Je suis cette pute, qu’on insulte ou consomme,
Sans jamais un peu de respect, tout s'effondre, tout s’étonne.

Oui, je provoque le désir,
Quand un homme me regarde, je vais le fuir.
Il me tend sa bague, comme un chien,
Mais je lui dis "non", loin de ce chemin.

Il n'y a pas d'amour pour une travesti,
On se contente de peu, de petites vies.
Dix minutes d'attention suffisent à combler,
Un peu de désir, pour nous satisfaire, à aimer.

Nous avons l’habitude de peu,
Que ce soit amour, toit ou argent, c'est jeu.
Mais la haine, la violence, la cruauté,
Sont là, partout, à se multiplier.

Les mêmes qui nous frappent,
Sont ceux qui nous envoient des messages en cachette.
Je ne les blâme pas,
Après tout, c’est ce qu’ils sont, c’est là.

Mon désir est de devenir une bête,
Avec une lame pour couper toutes ces têtes.
Mais dis-moi, combien de fois t’ont frappé,
Pour être toi, tout simplement, sans être jugé ?

Si tu me touches, tu vas regretter,
Je vais devenir un monstre, un éclair foudroyé.
Un couteau, une lame de rasoir,
Je peindrai le sol de ton désespoir.

Mais je vous dis que je ne mourrai pas comme ça,
Si vous m'attaquez, vous devrez m'abattre là.
Ne venez pas en riant, car je vais vous faire pleurer,
Personne ne m'abbaissera, soyez sûrs de le savoir, dans l’obscurité.

Mais cette haine ne m’intimide pas,
Vous avez fallu un virus pour tout comprendre, voilà.
Vous avez dit des mensonges, sans savoir,
Évitez de contaminer, c’est mieux d’être à l’écart.

Votre virus génocidaire est là,
Et il tue, sans aucun trépas.
Vous cherchez un remède, mais c’est en vous,
Vos phobies qui sont un mal, plus vieux.

La police ne réagit pas,
Ils font semblant de ne rien voir, tout est là.
Ce qui me fait penser que nous ne sommes pas importants,
Les affaires sont classées, sans un mouvement.

Les assassins dans la rue, en toute tranquillité,
Pendant que nos corps se retrouvent entassés.
Mais nous continuons à avancer,
À lutter, à exister, à ne jamais plier.

Nous faisons des efforts pour tenir debout,
Sans perdre la foi, malgré tout.
Sachant que dans le passé, certaines ont dû ramper,
Pour que je puisse courir aujourd'hui, et que les autres marchent demain.

Notre vie est suspendue à un fil,
Mais au moment de mourir, mieux vaut être humble, fragile.
Et pour que tout soit clair, je n'ai pas choisi,
Mais quand cette petite se regardait dans le miroir, elle n’a pas hésité.

Si elle avait pu choisir, elle aurait fait de même,
Je suis fière d’être une putain de travesti, sans aucun problème.

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Le Néant, le Dieu et la Mort